Interview10. Dezember 2024 Cineman Redaktion 3n365

Interview de Noémie Merlant : «Portrait d’une jeune fille en feu m’a libérée» 5i5y5u

Interview de Noémie Merlant : «Portrait d’une jeune fille en feu m’a libérée»
© 2024 Frenetic Films

Actualité riche pour Noémie Merlant : alors qu’elle a joué Emmanuelle dans le film d’Audrey Diwan sorti cet automne et qu’elle écrit actuellement un péplum queer punk, sort cette semaine «Les femmes au balcon», son deuxième long métrage derrière la caméra. Rencontre.

(Propos recueillis et mis en forme par Marine Guillain)

Révélée dans «Portrait d’une jeune fille en feu» de Céline Sciamma, Noémie Merlant a depuis parcouru un chemin irable, tant personnel que professionnel. C’est dans un hôtel genevois que nous la retrouvons, au lendemain de la projection des «Femmes au balcon» dans le cadre du festival GIFF. Cette ode à la sororité et à la liberté aussi caustique que sanglante raconte les péripéties de trois amies qui se retrouvent avec un cadavre sur les bras dans un appartement marseillais en pleine canicule… Douce, posée, lumineuse, Noémie Merlant s’est exprimée de manière précise, répondant à nos questions avec autant d’intelligence que d’authenticité.

Cineman : Quelle est la genèse de ce second long métrage, qui sort deux ans après «Mi iubita, mon amour» ?

Noémie Merlant : L’idée est partie de quelque chose de réel : je me suis enfuie de ma vie à un moment donné où plus rien n’allait, ni mon couple ni rien. Je ressentais une oppression totale à tous les niveaux. Je me suis réfugiée chez mes amies exactement comme dans le film. Il s’agissait de Sanda Codreanu, qui joue avec moi et Souheila Yacoub, et de ses sœurs. J’ai vécu avec elles pendant longtemps et c’est la première fois que j’ai ressenti cette sensation très particulière de libération et de relâchement total. J’ai eu envie de retranscrire ce sentiment.

Quelle période était-ce ?

N.M : C’était pendant le confinement, j’étais à Paris , maisj’écrivais en pensant à Marseille, j’ai eu un coup de foudre amoureux pour cette ville, à la fois chaleureuse et cassée de partout, et c’est pour ça que le film se déroule là-bas. À cette époque, ma vision changeait, s’ouvrait, ce qui m’a donné envie de tout quitter. Je prenais conscience de plein de choses et ma seule manière de pouvoir déconstruire et réapprendre à faire mes choix, de m’écouter et de me comprendre, c’était d’être déconnectée de tout et seulement connectée à moi.

Cette prise de conscience et ce besoin de déconstruction, pouvez-vous expliquer comment c’est né?

N.M : C’est venu petit à petit et ça a été lié à différents facteurs qui sont arrivés très proches les uns des autres : ma rencontre avec Céline Sciamma, le tournage de «Portrait d’une jeune fille en feu», #Metoo, des femmes qui osaient de plus en plus parler et moi qui ai commencé une psychanalyse et à m’intéresser au féminisme.

Noémie Merlant sur «Les Femmes au balcon» : «Portrait d’une jeune fille en feu m’a libérée»
«Les Femmes au balcon», au cinéma le 11 décembre © 2024 Frenetic Films

Est-ce que pour vous, il y a un avant et un après «Portrait d’une jeune fille en feu»?

N.M : Oh oui, à tous les niveaux ! Celui de ma carrière, car avant les gens ne savaient pas qui j’étais et j’ai beaucoup plus d’opportunités depuis. Puis ça a changé mon rapport à la société, à l’art, ma vision de femme, ma vision de tout ! Ce film m’a libérée.

Vous souvenez-vous de votre toute première rencontre avec Céline Sciamma ?

N.M : C’était au casting, elle me donnait les répliques, elle était super sympa. Ensuite, il y a eu le tournage et on ne s’est jamais quittées.

Et elle a collaboré avec vous sur l’écriture des «Femmes au balcon»…

N.M : On a toujours beaucoup partagé sur le monde, le travail, notre vie personnelle… Lorsqu’elle m’a demandé si elle pouvait lire le scénario que j’écrivais, ça m’a un peu stressée, j’avais honte, j’avais des doutes aussi, de ne pas réussir à le faire produire, ces nouvelles idées étaient peut-être une trop grande prise de risques. Céline m’a proposé de m’aider dans un rapport très sororal, elle ne voulait pas s’immiscer, mais m’aider à m’affirmer et c’était très beau. Ce n’est pas du tout son genre de film, mais elle a beaucoup d’humour dans la vie donc ça a été une collaboration très plaisante.

Le choix du ton qui mélange le fantastique, l’humour et le gore s’est-il fait dès le début ?

N.M : Oui. Moi qui ai tendance à toujours vouloir trop plaire, à sourire et ne pas faire de vagues, je trouve que dans ce mélange de genres il y a une liberté absolue, on a droit au mauvais goût, on peut aller trop loin. Le gore et le fantastique relèvent de la fiction bien sûr, mais le reste est très réel. J’ai aussi subi une agression par un photographe, lorsque j’avais 17 ans. Consciemment ou inconsciemment, j’ai mis dans le film toutes les scènes de violence répétées et vécues par moi, mais aussi ma mère, mes cousines, mes proches… Bien sûr, il y a un côté cathartique avec le gore, je peux faire ressortir toute la violence reçue.

En le couplant avec l’humour…

N.M : Oui, car c’est l’arme absolue de liberté. Je n’aime pas la violence, donc je veux la rendre cartoonesque pour que l’on n’y croit pas totalement. Cela fait du bien de se moquer de sujets graves, de prendre de la distance. Ce qui m’importe, c’est de faire du bien aux personnes qui en ont besoin, d’ouvrir un dialogue qui rassemble et qui fasse avancer. L’humour était mon unique solution pour parler de choses traumatisantes. Je me suis défoulée, j’avoue!

Noémie Merlant sur «Les Femmes au balcon» : «Portrait d’une jeune fille en feu m’a libérée»
«Les Femmes au balcon», au cinéma le 11 décembre © 2024 Frenetic Films

Comment est venu le choix du titre «Les femmes au balcon» ?

N.M : Alors pour le coup, il est venu tout de suite, avant même que je ne commence à écrire ! Avec mes amies, nous ions notre temps sur le balcon, il y avait un côté cocon, qui faisait un pont entre l’intimité de l’appartement et le dehors, qui semblait hostile à ce moment, car l’espace public appartient moins aux femmes. «Les femmes au balcon», c’est une manière de dire : les femmes ensemble, en sécurité, chez elles, mais qui en même temps rêvent d’un autre extérieur. Puis c’est un jeu de mot avec l’expression «Il y a du monde au balcon» : la poitrine féminine est apparemment un sujet de discussion assez poussé, je ne vois pas pourquoi, donc je commence le film avec le personnage de Ruby torse nue sur le balcon, comme les hommes en face. C’est une manière de dire «Voilà, vous avez vu ses seins, vous allez les voir tout le film et on e à autre chose, basta».

Comme pour «Mi iubita, mon amour», vous réalisez ET jouez dans «Les femmes au balcon» : n’est-ce pas trop intense de faire les deux ?

N.M : Ça laisse moins de temps puisque l’on doit jongler entre les deux postes. Par contre, en tant qu’actrice, j’ai accès directement au cerveau de la réalisatrice, je ne dois pas me cre la tête pour comprendre sa vision, c’est pratique (rires)! Je sais ce que je veux et je vais droit au but. Mais je ne jouerai pas dans mon prochain film.

Vous parlez de l’adaptation du livre Sporus, de Cristina Rodriguez, que vous avez décrit comme un «péplum queer et punk» ?

N.M : (Elle rit) Oui ! Je ne sais pas si je trouverai l’argent, car ça coûte très cher un péplum, mais je ferai tout pour qu’il se fasse! Il s'agit d’une histoire vraie. Sporus était un esclave eunuque marié à l’empereur Néron dans la Rome antique. L’histoire aborde les relations de pouvoir et les questions du genre, ce qui fait de nous des hommes, des femmes ou ni l’un ni l’autre.

Qu’a représenté pour vous le fait d’incarner l’Emmanuelle de 2024 ?

N.M : J’adore Audrey Diwan et ce qu’elle fait. Cela m’intéressait beaucoup de parler d’érotisme, du plaisir féminin et surtout, de l’absence de plaisir féminin. Ça me paraissait essentiel de parler de ça et de la reconnexion à son propre corps, alors j’y suis allée les yeux fermés.

Emmanuelle, Elise dans «Les femmes au balcon», mais aussi Clémence dans «Innocent», sca dans «Tár», Jeanne dans «Mi iubita», Nora dans «Les Olympiades», Benjamin dans «A Good Man» : voyez-vous un lien entre tous ces personnages que vous avez incarnés?

N.M : Pour la plupart, il s’agit de personnes qui ne correspondent souvent pas aux attentes de la société et qui essaient d’écouter leur désir et de l’affirmer, de vivre leur différence.

«Les Femmes au balcon» est à décourir au cinéma à partir du 11 décembre.

Bande-annonce de «Les Femmes au balcon» 4l1kt

La rédaction de Cineman vous recommande aussi: 2m3o1t

Cet article vous a plu ? 1glp


Commentaires 0 571a6q

Vous devez vous identifier pour déposer vos commentaires.

& Enregistrement